11 décembre 2010

Le retour de l’endettement public


Aujourd’hui, l’Etat reste, à travers les OAT (obligations assimilées du Trésor, bons un peu plus sophistiquées), le débiteur du système bancaire. La dette publique française, qui atteignait 65 % du PIB en 2005, obligeait l’Etat à consacrer plus de 12 % de ses impôts au remboursement. Les Français (tous, et surtout les plus modestes, quand on sait que la fiscalité est essentiellement indirecte à travers la TVA, la Tipp, ou proportionnelle, à travers la CSG) remboursent les prêteurs, en général les gens fortunés.

Etat endetté, Etat soumis.

La grande victoire de la révolution bourgeoise avait été de transformer l’Etat régalien, dispendieux et méprisant de ses créanciers, en débiteur régulier et honnête, en bon débouché de l’épargne bourgeoise. Les deux guerres mondiales avaient redonné à l’Etat son rôle régalien, de meneur de guerre au prix d’un endettement considérable des nations. Le problème des réparations allemandes, la dette de guerre des vaincus de 1914-1918 envers les Alliés, avaient empoisonné les relations politiques de l’entre-deux-guerres, et conduit, selon certains, au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Mais celle-ci terminée, vainqueurs et vaincus avaient assez vite épuré leur dette grâce à une croissance économique exceptionnelle, accompagnée d’une inflation non négligeable qui eut pour effet de gommer automatiquement la valeur des créances.

Mais voici qu’à partir des années 1970, la dette publique des nations explose à nouveau. Les Etats empruntent de sommes considérables pour payer leurs déficits. Ils émettent des obligations, c’est-à-dire des reconnaissances de dette à moyen et long terme. Ils renouvellent constamment le stock d’obligations. Le marché obligatoire devient extrêmement volumineux à côté du marché des actions. Aujourd’hui, le service de la dette (la paiement des intérêts et le remboursement d’une partie du principal) absorbe près du quart des recettes budgétaires des grands pays (en France, la quasi-totalité de l’impôt sur le revenu). Et favorise l’apparition de cercles vicieux. Dans certains pays, comme en France, les recettes fiscales ne suffisent plus, l’obligation d’emprunter s’impose pour continuer de rembourser sa dette. Cercles vicieux que l’on croyait réservé aux pays non développés.

Qui négocie cette masse énorme de dette publique ? Les grandes banques internationales, les hedge funds (fonds spéculatifs) et les apporteurs d’argent liquide, c’est-à-dire les fonds de pension et les fonds mutuels. En face, se trouvent les demandeurs de capital, les Etats. Ce gros marché détermine le taux d’intérêt. Le taux d’intérêt est donc une variable essentielle qui échappe largement au contrôle des autorités publique. La pression de l’endettement des Etats fait monter les taux d’intérêt. de fait ; les taux d’intérêts réels augmentent considérablement sur la période 1970-2000, pour le plus grand bénéfice des prêteurs qui y trouvent des rémunérations stables de l’ordre de 4 ou 5 %.

En créant des obligations¸les Etats fabriquent de la liquidité : en effet quand les obligations arrivent à échéance, elles sont échangées par leurs détenteurs auprès des banques centrales contre de l’argent frais. Les banques centrales prennent alors leur commission et injectent de la liquidité. De fait, les Etats restent de grands émetteurs de monnaie, mais indirectement. Pour couvrir leur endettement, ils font circuler des obligations qui se transforment en cash. (Le rôle des Etats-Unis est évidemment essentiel. La dette nette est d’environ 2 500 milliards de dollars. L’actif des Américains vis-à-vis de l’étranger est de 10 000 milliards, le passif (les avoirs des étrangers en dollars) de 12 500. Les premiers détenteurs sont les Chinois.) Autrefois, ils actionnaient la planche à billets. A présent, ils laissent faire les banques centrales indépendantes.

D’ailleurs, plus la masse de liquidité et d’obligations en circulation est importante, et moins les banques centrales ont la possibilité de refuser de créer de l’argent. En effet, si les banques privées ne peuvent s’approvisionner en cash auprès de la Banque centrale, eh bien, elles iront directement sur ce gros marché de la liquidité et de l’épargne. Mais surtout, les banques centrales hésitent d’autant moins à approvisionner les banques privées en cash qu’elles n’ont plus peur de l’inflation : le taux de chômage est tellement élevé dans les pays riches que les salaires ne bougent pas. La masse salariale a plutôt tendance à rester stable, voire à se réduire. Le pouvoir d’achat des fonctionnaires diminue. Celui des salariés stagne. Il n’y a plus de risque à injecter de la liquidité dans les économies. L’argent ainsi injecté ne sert à rien : il ne crée ni emploi, ni investissement, ni surcroît de consommation. C’est le phénomène de la trappe à liquidité, merveilleusement analysé par Keynes, selon lequel toute monnaie nouvelle arrivant dans l’économie est thésaurisée dans l’attente de jours meilleurs (et de taux d’intérêt plus élevé). Typiquement, le Japon fut dans une situation de « trappe de liquidité » pendant dix ans : malgré les injections massives de liquidité effectuées par la Banque centrale, rien ne changeait, cet argent servait à alimenter une bulle financière et immobilière : l’inflation du prix des produits, qui avait disparu, était remplacée par une inflation du prix des biens capitaux, actions et immeubles.

Bernard Marris. Antimanuel d'économie. Tome 2.

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