14 juin 2010

la droite s'attaque au sytème


Quand la droite revient au pouvoir, elle décide qu’il est temps désormais de passer à l’action. Dans la torpeur de l’été 1993, sans la moindre concertation avec les partenaires sociaux, le gouvernement Balladur adopte la plus vaste réforme du régime général jamais entreprise, par décret ! Officiellement, l’âge de la retraite reste inchangé à 60 ans. Mais tout aboutit à miner de l’intérieur cette disposition, car la durée de cotisation pour obtenir une retraite complète passe de 37,5 ans à 40 ans. Le salaire annuel moyen, qui sert de base au calcul de la pension, n’est plus calculé sur les 10 meilleures années mais sur les 25. Enfin, l’indexation des retraites ne se fera plus sur l’évolution des salaires, mais sur les prix, ce qui coupe les retraités de toute la croissance future du pays.

Dans la foulée, le patronat impose en 1996 une réforme des caisses complémentaires (AGIRC, ARRCO), auxquelles chacun cotise en fonction de sa catégorie, accumulant des points pour sa retraite. Pour éviter une augmentation des cotisations, le patronat obtient que la valeur du point soit calculée à l’avenir en fonction de l’indice des prix, tandis que les cotisations sont calculées sur les salaires. Cette différence de mécanisme permet de réaliser instantanément des économies substantielles. La mesure devait n’être que provisoire, le temps de redresser les comptes des caisses complémentaires. Treize ans après, elle est toujours en vigueur.

Des économistes ont chiffré par la suite le coût de ces réformes. Selon l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), la réforme Balladur a provoqué dans le temps une baisse de l’ordre de 36 % du niveau des retraites, en raison du changement du mode de calcul. De 1990 à 2006, le « taux de remplacement » - c’est-à-dire le montant de la retraite (régime général+ Caisses complémentaires ) comparé au revenu en activité – est passé de 85 % à 73 % pour les non-cadres, de 78 % à 58 % pour les cadres. Le seul changement d’indexation sur les prix a fait perdre 12 % de pouvoir d’achat aux retraités en dix ans.

Parallèlement, les gouvernements ont multiplié les mesures d’exemption fiscale pour inciter les Français à se constituer une retraite personnelle. Dès 1994, la loi Madelin instituait des fonds de pension totalement défiscalisés pour les artisans et les commerçants. Les programmes d’assurance retraite étaient vivement encouragés, bénéficiant de largesses fiscales, tout comme les plans d’épargne et de retraite d’entreprise. Les riches et les plus avisés en profitent, les autres ...

Sur ces épargnants avisés soutenus à grands frais par la collectivité, pas un mot ne sera prononcé. En revanches, les fonctionnaires et les bénéficiaires des régimes spéciaux n’éviteront pas la stigmatisation. La réforme Balladur a de fait aggravé l’écart entre le régime général et celui de la fonction publique, qui en contrepartie de salaires moins élevés bénéficie de conditions de retraite plus avantageuses. La droite ne se privera pas de mettre du sel sur les plaies, en pointant du doigt les « privilèges » des fonctionnaires qui ont en plus la garantie de l’emploi. En 1995, le gouvernement Juppé tente d’imposer l’alignement de leurs régimes sur celui du régime général. Au bout de cinq semaines de grève, marqué par une paralysie totale des transports, il doit renoncer. En 2003, François Fillon, alors ministre des Affaires sociales, réussit partiellement là où son prédécesseur avait échoué : il impose 40 ans de cotisations pour tous en 2008 et 41 ans à partir de 2012, mais la référence pour le calcul de la retraite des fonctionnaires reste les six derniers mois de carrière et non 25 ans comme pour le régime général. En 2008, Xavier Bertrand, ministre des Affaires sociales, complète le dispositif en alignant à leur tour les régime spéciaux (SNCF, RATP, etc.) sur la norme commune. A l’usage, il se révèle que les compensations qu’il a fallu accorder coûteront plus cher que le maintien en l’état des régimes. Mais qu’importe ! Nicolas Sarkozy voulait cette victoire politique, quel qu’en soit le prix.

Aujourd’hui, le système français de retraite ressemble à un paysage dévasté. C’est le temps du chacun pour soi. Tous les mécanismes de solidarité nationale et entre les générations ont été cassés. « Le système est devenu opaque et illisible », notaient en 2008 les économistes Antoine Bozio et Thomas Piketty : « Ce système où chacun suspecte les autres de mieux tirer parti que lui-même des avantages en vigueur finit par miner le consensus démocratique autour de la retraite ». La suspicion règne. Les cotisations sont assimilées à u impôt supplémentaire, sans réelle contrepartie. Personne n’est capable de dire quelle retraite il va toucher, encore moins d’avoir la moindre garantie sur l’avenir. Les difficultés de plus en plus grandes rencontrées par nombre de retraités, la paupérisation réelle de nombre d’entre eux sont, pour beaucoup, la face émergée du péril à venir.

Avant même la crise financière, Nicolas Sarkozy et François Fillon avaient inscrit dans leur programme une nouvelle réforme des retraites. La crise financière, la dégradation à vue d’œil des comptes sociaux la rendent encore plus obligatoire selon eux. Que préconisent-ils ? Une refondation du système en s’inspirant du modèle suédois, par exemple ? Pas du tout. Un remise en ordre des exemptions et niches fiscales accordées aux particuliers et aux entreprises, qui coûtent plus de 20 milliards d’euros par an à la Sécurité Sociale, dont 4 milliards environ au seul système de retraite ? Pas plus. Dans l’esprit du gouvernement, il ne peut s’agir que d’approfondir le sillon déjà tracé : pour répondre à l’allongement de la durée de la vie et rétablir l’équilibre du système, l’âge de la retraite doit être reculé de 60 à 65 ans, voire 67 comme en Allemagne ; et la durée des cotisations doit être allongée de 41 à 43 ans, peut-être 45. Une réforme qui répond en tout point aux grandes lignes arrêtées par la Commission européenne en 2002, lors du sommet de Barcelone.

En 2010, pour répondre à l’exclusion constante des salariés les plus âgés du monde de l’entreprise, le gouvernement à déjà un projet : il se propose d’instituer des contrats à durée déterminée pour les salariés de plus de 55 ans, afin de leur permettre de continuer à travailler tout en touchant leur retraite. Au risque de créer une nouvelle catégorie : les vieux précaires. De même, il sera quasiment impossible de toucher une retraite à taux plein si la durée de cotisation est repoussée à l’infini. Là aussi, le gouvernement a une réponse : renforcer l’épargne personnelle et favoriser enfin l’émergence des fonds de pension (français) qui n’arrivent toujours pas à voir le jour.

Face à ce programme qui parachève l’entreprise de démolition du système conçu soixante-cinq ans plus tôt par le programme du CNR, aucun contre-projet, aucune contre-proposition, ne semble émerger dans le monde politique. La question de la solidarité nationale reste à réinventer.

Martine Orange, co-auteur de « Les jours heureux : le programme du Conseil National de la Résistance », ouvrage intéressant pour savoir quand et comment ont été constitués les valeurs et les structures sociales et publiques de la France, et comment depuis deux décennies principalement les politiques, surtout de droite mais pas que , démolissent ces acquis et la notion de solidarité dans notre pays, au profit d’une minorité bourgeoise et ultra libérale.

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