9 août 2010

casse toi pauv'con


Brusquée par l'opinion, Sa Majesté eut des vertiges. On lui reprochait encore d'avoir insulté vertement un malotru; son "casse-toi, pauv'con!" n'en finissait point de lui revenir en boomerang. Tout semblait bon pour l'exaspérer. Quelques hostiles avaient fouillé les archives pour ressusciter les répliques brûlantes des prédécesseurs de Sa Majesté en de semblables circonstances. Lorsque le roi Chirac se fit traiter de connard par un excédé, il lui tendit la main : "Enchanté! moi c'est Jacques Chirac;" Autre repartie qui cinglait, celle du roi Mitterrand; un homme braillait "Mitterrand, fous l'camp!"; se tournant, le roi ne lâcha que deux mots en forme de commentaire : "Rime pauvre". Notre Fureux Leader n'avait pas davantage la classe que la cote, aussi s'emportait-il souvent à huis clos : "Y m'trouvent vulgaire, hein, c'est ça? Comme je suis pas riche, j'aurais pas l'droit au luxe et aux grosses montres ? ça les dérange, avec leurs châteaux hérités, leurs hôtels particuliers et leur magot bien planqué!" Disant cela, Le Prince ne se rendait pas compte qu'il traçait le portrait de Madame, laquelle avait hérité, possédait de l'argent et des biens de famille, mais il ne s'agissait pas de le lui faire remarquer sinon i lvous fusillait, d'abord du regard.

(...)

La fin de cet été d'agitation fut désolante et le ciel se couvrit de nuages de grêle. On eût dit que la nature se vengeait de la suffisance des hommes. Les cyclones se levèrent en série, les tempêtes tropicales secouèrent les palmiers, la boue coulait des pentes sottement déboisées; l'Inde, Haïti, le Vietnam et la Grande Bretagne furent inondés, des récoltes dévastées, puis vint le choléra. La rouille noire du blé se propagea de l'Ouganda jusqu'en Iran et au Yémen, et il y eut une alerte car elle menaçait l'Est tout entier; ce champignon tueur avait naguère servi d'arme biologique aux Américains, qui s'en servaient contre les Russes, mais désormais bien vivace il se propageait seul et suivait les vents dominants. Les abeilles mouraient par centaines de milliers, les cultures sans pollen dépérissaient ; on s'en soucia en s'apercevant que leur diminution nous avait déjà fait perdre cent cinquante-trois milliards d'euros. Les matières premières se mirent à flamber. Il y eut des émeutes de la faim puisque le blé, le soja et le riz devenaient rares. Un vent de pestilence se levait autour de la planète. On disait qu'un bébé américain, en naissant, devait déjà cinquante-quatre mille dollars à son banquier. Pauvre petit, pauvres de nous, pauvres cons.

Patrick RAMBAUD, Deuxième chronique du règne de Nicolas Ier.

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