Cependant, après huit mois de règne, les inégalités augmentaient, les modestes devenaient pauvres et les pauvres maigrissaient, mais peu importait aux yeux de Notre Prince Intrépide qui ne fit jamais un geste pour soulager les dépossédés, les délaissés, les sans-logis et les sans-pain; il préférait sangloter sur les malheurs du bout du monde, et un coup de grisou en Chine l'émouvait bien autrement que la mort d'une clocharde à cent mètres du Château. Quand un audacieux osait rapporter quelques plaintes du peuple, Sa Majesté rugissait : "Ces feignasses ont qu'à travailler plus!"Et les courtisans d'entonner le fameux hymne des heures supplémentaires, affirmant que cinq millions de sujets y avaient eu recours, sans qu'on sût d'où venait ce calcul, alors que des économistes révélaient qu'elles ne rapportèrent pas plus de vingt euros par mois aux chanceux qui purent en user. Notre Valeureux Prince décréta que limiter le temps de travail était une hérésie, que l'homme était né pour trimer depuis qu'il fut chassé du Paradis terrestre, quitte à périr d'une crise cardiaque et laisser ainsi sa place à d'autres galériens puisque le navire devait avancer coûte que coûte, qu'on devrait travailler trente-cinq heures par jour, que les règlements paresseux, mis en vigueur du temps que le Parti social gouvernait, il les jetterait au feu, que les patrons et leurs employés devaient s'accorder sur un nombre sans limites de ces heures en surcroît, et Notre Leaider Inspiré improvisa là-dessus une loi qui figurait déjà dans le Code du travail à l'article L.212-6. Brassant de l'air, concoctant des lois comme un paon étale ses plumes, Notre Grand Actif espérait consolider sa réputation de faiseur; sa devise revenait sans relâche pour le justifier : "Les Français, y m'ont pas élu pour que j'me tourne les pouces!"
Patrick RAMBAUD, Deuxième chronique du règne de Nicolas Ier.
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