15 février 2010

L'altruisme



Pourquoi, si la concurrence conduit au nivellement, à la massification, à la grisaille où tout est argenté et gris de la triste couleur de l'argent, l'humanité a-t-elle faut tant de progrès, au moins techniques ? Si Homère est la preuve que le progrès littéraire n'existe pas et Aristote qu'il n'y a pas de progrès philosophique, le décryptage du génome et bientôt son découpage en rondelles afin de le breveter, montrent bien que la "compétition" ne tire pas systématiquement l'humanité vers la bas. La science (la vraie, pas celle économique), bien que dangereuse et peut-être folle, est néanmoins la preuve du progrès d'une certaine connaissance.

D'où vient ce progrès ? De Darwin. mais attention, de l'autre Darwin : du vrai, pas de celui, ridicule, récupéré par l'économie dans le darwinisme social de la concurrence. "Quant à nous, hommes civilisés, nous faisons au contraire tous nos efforts pour arrêter la marche de l'élimination: nous construisons des hôpitaux pour les idiots, les infirmes et les malades; nous faisons des lois pour venir en aide aux indigents ; nos médecins déploient toute leur science pour prolonger autant que possible la vie de chacun ..." Qui écrit cette phrase insupportable pour un ami de l'eugénisme et du darwinisme social ? Darwin lui-même. le critère de l'humanité, précisément, est qu'elle protège les faibles. Elle est la seule espèce à la faire. La vaccination a protégé des milliers d'individus qui, faibles de constitution, auraient autrefois succombé à la variole. La médecine s'efforce de réduire la douleur (quelque chose de "naturel" s'il en est), de prolonger la vie de gens inutiles comme les personnes âgées. Quel critère antiéconomique! Philip Morris, grande multinationale, conseillait le 26 juillet 2001 à la république tchèque d'éviter une loi type Evin qui réduirait le nombre des fumeurs... Au motif que c'est antiéconomique. Un fumeur meurt jeune, cotise toute sa vie. Une loi anti-tabac, calculait Philipp Morris, coûterait 17,4 millions d'euros à la République tchèque, soit 1227 dollars par chômeur. Et avec beaucoup d'humour économique, la multinationale montrait un cadavre de morgue avec l'étiquette "1227 dollars" au pied!

Prolonger la vie des personnes âgées est antiéconomique. Gérard Debreu, prix Nobel, économiste mathématicien, qui était interrogé par une chaîne de télé en janvier 1988 sur la santé de l'économie française (qui pouvait alors imaginer qu'il ignorait ce qu'était une économie réelle et qu'il ne faisait que de la "théorie"?), finit par déclarer, à propos de santé : "Le devoir d'un économiste est d'informer que le droit à la vie ne peut être toujours assuré pour des raison de coût." C'est beau, le devoir d'un économiste, non? Philip Morris étudiait les économies de santé dues à une mortalité précoce. Or l'humanité a toujours fonctionné à l'inverse de Philip Morris: elle a toujours protégé les inutiles.

L'humanité est altruiste, c'est même ce qui, avec le langage, la distingue totalement de la plupart des autres espèces, purement instinctives et égoïstes. Il faut donc émettre l'hypothèse que l'altruisme, contrariant les effets délétères de la concurrence et de la compétition, provoque le progrès, médical notamment. La concurrence tire la société vers le bas tandis que l'altruisme la tire vers le haut : que le meilleur gagne! Comment l'humanité a-t-elle lutté contre les calamités, les guerres, les peste? "C'est grâce à son intelligence, qui lui confère une extraoordinaire aptitude à la sociabilité et à la communication, que le sapiens put, malgré sa faiblese consrtitutionnelle, franchie toutes les étapes les plus périlleuses de son histoire... par une coordination de tous vers le même but. Tous ces redressements eussent été impossibles dabs une foule de solitaires (Jacques Ruffié)." Nous touchons du doigt le nœud du fonctionnement social : égoïste d'un main, l'homme est altruiste de l'autre! Perso, il est collectif!

Penons la cas de la recherche, la recherche savante. Lors d'un colloque, un chercheur donne des résultats, d'autres l'écoutent et lui en communiquent en retour. Tout est gratuit. Certes, ces chercheurs iront peut-être ensuite monnayer leur savoir dans un labo pharmaceutique. Peut-être. mais ce qui est essentiel, c'est l'acte lui-même, qui est antiéconomique et que l'économie ne peut pas comprendre : je donne quelque chose qui m'appartient, mon savoir, et pourtant je ne perds rien ! Et en échange je reçois quelque chose de quelqu'un qui n'a rien perdu non plus! Et dans cette gratuité, nous sommes plus riches à l'arrivée l'un et l'autre. Tout simplement impensable, pour le marché, où ce qui est à moi n'est pas à toi! Mon litre d'essence n'est pas le tien. D'ailleurs, c'est ma bagnole. Et dans ma bagnole, il y a mon essence. Mais le langage, la pensée, la recherche, la découverte, l'invention appartiennent à tous, même si le marché s'efforce de mettre des péages sur les découvertes.

Et nous revoici plongés au cœur de l'économie. Car de ce cœur découle la question de la rareté. Le problème économique est engendré par la rareté et la propriété qui sont des richesses rares à partager. mieux vaut les partager par le marché et la contrat que par la violence, nous dit l'économiste. Certes, à condition que le contrat ne soit pas léonin, que l'échange n'entraine pas la guerre, etc. Nous retrouverons d'ailleurs ces questions avec le commerce international. Mais la rareté, c'est exact, engendre la concurrence et la lutte. Or les hommes sont capables d'aller "au-delà de la rareté", par le savoir, l'échange altruiste, la connaissance... Voilà une porte de sortie optimiste que nous ouvrirons à l afin de cet Antimanuel : et si la rareté, et avec elle l'économie, la concurrence et le nivellent par le bas, n'étaient pas notre destin ?
Bernard MARIS, L'Antimanuel d'Économie.

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