3 février 2010

Que faut-il enseigner ?


Ces pensées nous conduisent aux programmes de sciences économiques et sociales. On me reproche souvent : "Mais, vous, totalement critique, qui n'arrêtez pas de fustiger l'économie et les économistes, que pouvez-vous bien enseigner ?" Je réponds "d'abord, l'histoire économique". Et avec quel plaisir! Les faits économiques. On peut raconter l'affaire Enron de deux façons :
1) comme une affreuse histoire de malhonnêteté, de transparence non respectée, de dissimulation, d'asymétrie d'information, et envoyer à la face des ignorants une volée d'équations de la théorie de l'information. On peut geindre sur l'"étique des affaires", sans se rendre compte qu'on pleurniche sur une oxymore;
2) on peut aussi raconter l'histoire d'Enron- et elle devient passionnante- commecelle de la politique énergétique des États-Unis et des relations du parti républicain avec certains milieux d'affaires; également comme l'histoire des pratiques des banques d'affaires, des analystes, des agences de notation, et même des journalistes! Il y a de quoi faire!
Ensuite, un économiste doir raconter l'histoire sociale. Evoquer l'économie indépendamment de la sociologie, de la psychologie, de l'anthropologie est un leurre pour laisser croire que l'économie est la matrice, la science supérieure, le moule explicatif dans lequel doit se dissoudre la complexité sociale. Heureusement les programmes du secondaire font (encore) beaucoup de place aux disciplines analysant la société. Le secondaire enseigne les "sciences économiques et sociales" : on démarre avec max Weber, on n'oublie pas Marx et on consacre beaucoup de temps à ce que l'on appelle le lien social, avec ses conflits, ses inégalités. On réfléchit sur le travail, la richesse. Dans l'enseignement supérieur, tous ces mots disparaissent et sont remplacés par de signes, des graphiques, des équations. Il ne s'agit plus de dire ce qui est, mais ce qui doit être : l'économie de marché. A l'esprit de finesse, lié à la pluridisciplinaritédu champ secondaire, succède l'esprit de géométrie, qui ne prétend plus comprendre le monde, mais le métrer, le formater selon le calcul économique et l'idéologie du calcul. Pourquoi ? pour fabriquer de bons petits soldats de la "Guerre économique", cette guerre de tous contre tous qui vous occupera le longues années avant une maigre retraite. Certes, de jeunes professeurs dénoncent (enfin!) cet "autisme" de l'enseignement universitaire. Mais "la tendance est lourde", comme dirait l'autre (économètre) ! En 2003, un changement de programme, le douzième en 10 ans, prévoit de privilégier, en supprimant certains auteurs du programme, comme Pierre Bourdieu, "une approche normative des objets d'études au détriment des questionnement". L'économie dir ce qui doit être, et non ce qui est. Alors, ojo ! Ouvrons l'œil. Dans le monde des comptes, il ne faut pas s'en laisser conter; et inversement.
Bernard MARIS, Antimanuel d'économie,tome 1, Editions Bréal, 2003.

PS : Depuis les dirigeants français essaient même de diminuer, voire supprimer, les sciences économiques et sociales du secondaire.

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