13 avril 2010

Garzon accusé, la justice y va Franco


Le juge, à qui l’on reproche d’avoir voulu enquêter sur les crimes du franquisme a été mis en examen pour avoir outrepassé ses compétences.

Le juge le plus célèbre d’Espagne est inculpé par la cour suprême pour avoir tenté d’enquêter sur les crimes de la dictature. Depuis la loi d’amnistie votée en 1977, le franquisme est tabou en Espagne mais omniprésent dans la société.

Après avoir poursuivi Pinochet, relevé le scandale anti-terroriste du GAL [1] et tenté d’inculper Israël pour les crimes commis à Gaza, Baltasar Garzon sera jugé à son tour. Luciano Varela, juge au Tribunal suprême, accuse Garzon du délit de « prévarication » [2] pour avoir enquêté sur les crimes de la dictature franquiste. Il répond favorablement à une plainte de la Phalange, un parti d’extrême droite (Seul parti politique autorisé sous la dictature).

En septembre 2008, Garzón avait ouvert une instruction sur les meurtres commis à l’époque de Franco après avoir reçu les pétitions lancées par les familles des victimes regroupées dans l’Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH). En conséquence de son instruction, Garzón accusait Franco, 44 anciens généraux et ministres, ainsi que 10 membres de la Phalange, de crimes contre l’humanité. Il a exigé l’ouverture de dizaines de fosses communes où plus 100.000 de leurs victimes avaient été fusillées sommairement et enterrées. (349 enfants de moins de dix ans avait été exhumés).

La cour suprême reproche aujourd’hui à Garzon d’avoir monté un "artifice juridique" pour ouvrir une enquête sur les disparus de la guerre civile (1936-1939) et du franquisme (1939-1975), ignorant délibérément une loi d’amnistie générale votée en 1977 par le Parlement espagnol. En Espagne, il est impossible de rompre le pacte du silence post-dictature. Pourtant le Comité des droits de l’homme de l’ONU avait demandé en 2008 à Madrid d’abroger sa loi d’amnistie post-franquiste et de "garantir le caractère imprescriptible des crimes de lèse-humanité". Le juge Baltasar Garzón a fait appel samedi de la décision du juge du Tribunal suprême de le déférer en justice.

Un pays en mal de justice

En 1976, la mort de Franco et le retour du roi Juan Carlos ne se traduisent pas par une rupture symbolique avec l’idéologie franquiste, comme cela a pu être le cas en Allemagne en 1945 avec le procès de Nuremberg, explique David Dominguez, doctorant à Madrid en philosophie politique. Trente ans après la transition « démocratique », le PP (Parti Populaire) refuse toujours de condamner les crimes du franquisme, certains politiques comme Manuel Fraga [3] sont passés sans encombre de la dictature à la démocratie. »

L’écho juridique donné à une plainte de l’extrême illustre bien la logique décrite par l’universitaire. Le 3 novembre 2009 dans un nouveau rapport, Amnesty International dénonçait les autorités espagnoles « de manquer de volonté de faire face aux problèmes des actes de torture et autres formes de mauvais traitements imputables aux forces de l’ordre ». La Cour européenne des droits de l’homme a aussi été saisie à plusieurs reprises en 2009 pour « violation du droit à un procès équitable, torture et discrimination » à l’encontre de militants basques, mais aussi d’immigrés, de manifestants et de militants écologiques ou d’extrême gauche.

Samedi 13 mars 2010 à Madrid, 1400 juges, soit quasiment la moitié des juges exerçants en Espagne, dénonçaient à leur tour une politisation de la justice et un manque d’indépendance. En mettant Baltasar Garzón devant les tribunaux, la justice espagnole brille à nouveau par son prisme idéologique. Vendredi le“Caso Gürtel” faisait les gros titres des journaux. Il s’agit du plus gros scandale de corruption agitant le Parti Populaire (PP) espagnol. Il met directement en cause le sénateur et le trésorier du parti conservateur, Luis Barcenas, accusé d’avoir blanchi 1,3 millions d’euros, mais aussi, Manuel Rajoy le numéro un du PP. Garzón était en charge de l’enquête.

Ainsi beaucoup suspectent la droite espagnole d’avoir exercé des pressions pour que Garzón soit mis en examen à son tour. Trois jours après l’annonce à comparaitre contre ce dernier, le chef du gouvernement José Luis Zapatero demandait aux juges de prendre leurs responsabilités. En 2009 il avait jugé inacceptable que le Parti Populaire tente “d’intimider le juge Garzón ”. Cependant, plusieurs membres du gouvernement ont estimé « inacceptable » le caractère politique de cette affaire. Plus de deux cents organisations de défense des droits de l’homme et des juristes du monde entier, dont l’ex-procureure du Tribunal pénal international pour la Yougoslavie, Carla Del Ponte, ont récemment signé une lettre de soutien au juge mis en cause. Un groupe d’éminents écrivains, d’avocats, d’universitaires et de musiciens ont également apporté leur soutien au juge accusé de prévarication en déclarant notamment qu’ils étaient « tristement convaincus » qu’il allait être soumis à un procès « kafkaïesque ».

Jean-Sebastien Mora, mardi 13 avril –BAKCHICH- Espagne


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