19 avril 2010

Le système monétaire international



1945-1993 : presque un demi-siècle de tutelle publique. En fait, l'État cesse de contrôler le crédit en 1983, lorsque le gouvernement socialiste décide d'arrimer le franc au mark, monnaie forte, de stabiliser la France dans l'Europe et de laisser le contrôle du crédit et de l'émission monétaire (de nouveau!) à la banque de France. L'État a donc contrôlé le crédit de 1934 à 1983, pendant cinquante ans. En 1993, l'État prend acte de l'indépendance de la Banque de France par la loi de décembre. Désormais, le gouverneur est nommé mais ne peut plus être "démissionné" par l'État. Il est interdit à la Banque de financer le déficit du budget de l'État, autrement dit, de faire marcher la "planche à billets". Si l'État a besoin de sous, qu'il les emprunte et qu'il les rembourse! le nouveaux statuts de la banque interdisent aux membres de son conseil "de solliciter ou d'accepter d'instruction du gouvernement ou de toute personne". Et voilà. Le pouvoir politique est soumis. La dictature des rentiers a triomphé. Les statuts de la Banque de France, calqués (et "aggravés" en quelques sortes) sur ceux de la Bundesbank, gardienne du temple de la monnaie forte, seront copiés par la banque centrale européenne. L'ordre des créanciers règne en Europe. Aux États-Unis, c'est l'inverse. La Banque fédérale de réserve est responsable devant le Congrès. La planche à billets fonctionne toujours. La statut d'hyper-puissance permet aux États-Unis d'accaparer, chaque année, les deux tiers de l'épargne nouvelle dans le monde, essentiellement en provenance d'Europe ou du Japon. Les États-Unis, souverains du monde, fonctionnent selon le principe régalien de la création monétaire. Voilà une question essentielle d'économiste : qui fabrique l'argent qui nous fait vivre ? Au profit de qui ? Pour quelles activités ? De 1945 à 1976, en France, l'État fabrique l'argent au profit de la reconstruction, puis de la croissance. Et puis, après cette très brève parenthèse du capitalisme, le privé reprend ses droits.

Europe égale monnaie forte. En 2002, les revenus de la rente représentent à nouveau une part considérable (plus de 10 %) du revenu des Français, comme à la veille de 1914. Le capital financier revient, au détriment du capital industriel. Les grandes banques de dépôt, nationalisées en 1945, sont, l'une après l'autre, privatisées. Elle échappent à la tutelle de l'État, bien médiocre il est vrai - il n'y a qu'à voir l'affaire du Crédit Lyonnais, banque nationale, que ni le ministère des Finances, ni la Banque de France, ni le Trésor public, organes de tutelle, n'ont su ou n'ont voulu contrôler. Les grandes banques de dépôt, la BNP, la Société générale, se lancent sur les marchés internationaux. Elles émettent de la monnaie en toute indépendance, participent aux marchés monétaires internationaux "off shore", hors des territoires nationaux, financent des fonds spéculatifs. Une grande partie de leurs mouvements de fonds est "hors bilan" et échappe au contrôle public des nations. Le crédit (sauf aux États-Unis) a totalement échappé aux États. La création de l'euro en 2001 voit triompher le modèle rentier : la Banque centrale européenne n'a aucun ordre à recevoir de quiconque, elle impose une poilitique économique stricte, où l'intervention publique est limitée par le "pacte de stabilité", des déficits du budjet contrôlés, une inflation et un endettement faibles. L'État est soumis, il est sous tutelle économique ... Retour à l'aube du XIXe siècle. [...]

En 1969
, le président Nixon, génie politique, fait le bon choix : il choisit l'industrie contre la finance, se disant que, de toute façon, la puissance militaro-industrielle des États-Unis garantira le dollar. Il fait exploser le système de Bretton Woods en laissant flotter le dollar. En 1971, le dollar cesse d'être aligné sur l'or. Quel pari formidable! Le pari que seule la signature des États-Unis, la confiance qu'ils inspirent, pat leur dimension, leur puissance, suffira à garantir la valeur de la monnaie. Pari gagné. Les États-Unis, à nouveau, peuvent émettre la quantité de monnaie qu'ils veulent et financer leur industrie. Aux autre pays maintenant de demander la conversion de leur propre monnaie en dollar sur des marchés libres des changes, tous les jours, au jour le jour. L'euro est fort ? La belle affaire! Les exportations américaines s'envolent! l'euro est faible , La belle affaire! Les capitaux affluent aux États-Unis, l'investissent et la production décollent! C'est un immense retour de la fonction régalienne de la monnaie : le dollar est la monnaie supérieure, parce que les États-Unis sont la puissance supérieure, ils sont le prince de ce monde. Ils acceptent un déficit énorme, déficit qui faisait éclater de rire le prix Nobel Milton Friedman parce qu'il était libellé en dollars. Pauvre Monsieur Trichet, patron de la banque centrale européenne, qui compte ses sous un peu comme un petit épicier de Plougastel compterait sa caisse à Côté de Windows qui fait des dettes! Magnifique, superbe et régalienne déclaration de Milton Friedman : "ce que je dois est libellé dans ma monnaie. Donc je ne dois rien. Je ne vous dois rien." [...]

(pour lire la suite, gardons à l'esprit que le terme "monnaie" fait référence à la monnaie-crédit, totalement dématérialisée, et immensément plus importante en chiffres aujourd'hui . Al Index).

En 1976, sont signés les accords de la Jamaïque enterrant à jamais le rôle de l'or comme monnaie internationale de réserve. Giscard d'Estaing signe, très heureux. Il n'a pas compris que, du temps de l'or, existait quelque chose, un équivalent général, une monnaie supérieure, qui interdisait à un État de dominer les autres et ne soumettait pas les économies à une puissance dominante. Non seulement la monnaie unique n'existe plus, mais sous la monnaie dominante, le dollar, des milliers de monnaies privées ont explosé, sans que plus jamais les États n'exercent un véritable contrôle du crédit. Les banques des pays d'Europe, du Japon, d'Asie et d'Amérique se sont mises à créer leur monnaie et à l'échanger au jour le jour sur le marché monétaire international. C'est la Far West! L'Amérique des années 1860, où 10 000 dollars bariolés circulaient! la monnaie créée par la BNP (les lignes de crédit ouvertes par cette banques), concurrence celle créée par la Deutsche Bank (les lignes ce crédit qu'elle ouvre), celle de la Société Générale, de la Citybank, du Crédit Suisse de Boston, de la Banque s'Arabie Saoudite, etc..., sans que jamais les États puissent intervenir. La finance internationale est devenue totalement privée. Non seulement privée, mais largement "off shore", en dehors de tout contrôle des espaces nationaux et des pouvoirs publics. Cette création monétaire, privée, est-elle totalement débridée ? Non, pas entièrement. Les banquiers s'imposent quand même des garde-fous. Par exemple, la Banque des règlements internationaux, la BRI, créée à Bretton Woods en même temps que la Banque mondiale et le FMI, impose aux banques privées du monde entier le "ratio McDonough", du nom du président de la SEC, qui a succédé au ratio Cooke, du nom d'un autre banquier. Ce ratio dit : "Vous, banquiers, il faut que 8% de vos crédits soient du liquide. Ou du quasi-liquide. Des titres que vous puissiez rapidement transformer en devises, dollars, euros, ou yens. Pour des raisons de prudence." Mais on comprend bien que si la création de dollars, de yens et d'euros n'est pas vraiment limitée, imposer le McDonough, c'est comme imposer à une voiture de limiter sa vitesse, en augmentant simultanément les chiffres sur les panneaux limitateurs de vitesse! L'explosion des marchés financiers, des marchés boursiers d'actions et d'obligations, et surtout des marchés dérivés (les produits d'assurance sur les fluctuations des monnaies, des taux d'intérêt) accroît le volume des signes monétaires en circulation qui n'ont pas véritablement de contreparties. Par exemple, je suis marchand d'armes français. Je veux m'assurer contre les fluctuations de l'euro face au dollar, car mon contrat est à terme libellé en dollars, et je ne sais pas trop combien vaudront les dollars quand mon acheteur arabe aura fini de me payer dans dix ans- s'il existe encore. Je prends une assurance, c'est-à-dire que je souscris à un contrat sur un marché dérivé. Mon vendeur, sur le marché dérivé, va se réassurer et donc acheter un dérivé de dérivé. Tout cela coûte cher, en intérêts, en intermédiation. Est-ce un contrat sûr, au moins , Même pas. Un assureur s'est fait assurer par un assureur, mais qui assure vraiment le second, Ne va-t-il pas se réassurer sur un troisième qui va se réassurer sur le premier, comme un serpent qui se mord la queue ?

A qui profite l'absence de règles ? A ceux qui ont la force. La libération des monnaies a profité à la seule monnaie qui pouvait associer la force à sa liberté : le dollar.

Il semble bien que la libération des monnaies ait donné lieu à une gigantesque bulle monétaire, qui, après la bulle des bourses, risque d'exploser. Qu'est-ce qui motive la spéculation , L'excitation? Tout cela est très excitant ...


Bernard MARIS- Antimanuel d'Economie- tome 1.

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